
Un Réveillon de Noël pas comme les autres, avec les Gilets Jaunes. (©Photo Le Républicain / Michel Pradeau)
Les nuits de décembre sont longues à la cahute des Gilets Jaunes au rond-point de Marmande. Celle du 24, soir du réveillon de Noël, sera passée comme une lettre du Père Noël à la Poste…
Du monde, de l’ambiance, de la vie…
Du monde, de l’ambiance, de la vie autour de la cabane des Gilets Jaunes, le QG comme tous l’appellent. Deux braseros dans des bidons donnent une chaleur de fête toute nomade, la cahute, elle, est alimentée en électricité par un groupe électrogène généreusement mis à disposition par les amis des Gilets Jaunes. Ils sont nombreux… Bien sûr, la trêve des confiseurs a sonné pour les sportifs, elle a également sonné pour nos Gilets Jaunes qui ont consenti à ne pas entreprendre leur marche du soir sur Marmande les 24 et 25, mais elle reprendra ce mercredi 26 décembre à 17h30, départ place Clemenceau pour un désormais habituel tour de ville au son des clairons et trompettes…
Franck, David, Anne-Marie, Betty et les autres
Franck, David, Béatrice, Danielle, Anne-Marie, Doum, Raymond, Jean-Marie et sa sœur Betty, auxquels s’ajouteront au fur et à mesure que l’heure avance dans la nuit des fidèles comme Malou, Bernard venu ce soir avec sa fille de 10 ans Maëva, Audrey, Nicolas et son épouse, etc… Et puis Kéké, il avait promis de passer, il est venu. De même plus tard Chantal, Mathieu et Dorothée et leur famille. «On est venu voir notre deuxième famille. On fait bloc, on est uni, regardez ça, c’est la fête !» déclare Christophe alias Kéké.
Quelque chose de fort
Tous avaient une crainte, que le campement soit déserté. Mais les volontaires s’étaient inscrits sur le carton de présence rempli au crayon feutre, ce n’est pas un 24 décembre que les Gilets Jaunes déclareront forfait.
Mieux, quelque chose de fort existe désormais qu’on ne pourra jamais leur enlever, ces instants magiques où tout le monde se retrouve pour partager un bout de vie quand trop de soirées ont été gâchées à regarder la télé ou sa tablette. Il y a les bavards, les boute-en-train, les silencieux, les calmes, les moins calmes, les jeunes et les moins jeunes, des gens seuls pour la plupart qui se sont trouvé une bonne raison de ne plus l’être. Tous ont en commun un parcours de vie chaotique, un brin de colère sous l’épiderme qui n’empêche pas une règle et un fréquent rappel à l’ordre: «Non, ici on parle pas de politique» dira David. Ce dernier passe ses nuits depuis plusieurs jours, peut-être des semaines, dans un coin aménagé et chauffé de la cabane. Des années qu’il attend ce moment, celui de trouver une famille quand la sienne a coupé les ponts. Et le sentiment que quelque chose se passe enfin…
« Ici on parle pas de politique et pas d’alcool… »
C’est vrai, pas de politique, le nom de Macron, l’ennemi public numéro 1, n’a même pas été prononcé une fois ce soir… Ou par boutade. Elles fusent les boutades, à caractère salace parfois, et voilà Doum et Danielle partis dans un fou rire communicatif.
Dix ans que je n’ai pas vu ma fille »
L’ambiance est bonne, il fait bon se retrouver à la cabane, mais il a fallu mettre de l’ordre: «Au début on a vu arriver des marginaux qui buvaient et mettaient le souk. On les a virés, ici il n’y a pas d’alcool». C’est Franck qui parle. Il porte un regard attentionné sur le camp, un observateur avisé qui parle peu mais à bon escient. Quelqu’un qu’on respecte ici. A 56 ans, au chômage, Franck est un ancien cuisinier tombé dans l’enfer à la suite d’un divorce et de la parte de son travail. Alcoolisme, la rue, il a été SDF pendant 10 ans, «10 ans que je n’ai pas vu ma fille, je ne connais même pas mes petits-enfants». Sa famille, elle est là maintenant. Franck est Marmandais depuis 23 ans, il a retrouvé une vie stable, une copine un peu plus âgée que lui, qui tique un peu de le voir passer son temps au rond-point du Leclerc, mais qui a senti combien cela lui faisait du bien…
On n’est pas bien là, un 24 décembre au clair de lune ? »
Béatrice, souriante et coquette, a la nostalgie de l’Espagne. Son joli petit chien Rexa sur les genoux, elle fait défiler des images sur son portable de cette jeunesse espagnole un jour de fête, «j’ai passé l’âge, mais j’aimais bien m’habiller comme ça, en robe moulante et courte, regardez, elles sont belles non ?…». Il n’en fallait pas plus pour réchauffer l’atmosphère si tant est qu’elle s’était refroidie… «On n’est pas bien là, un 24 décembre au clair de lune, avec une température douce, sous une cabane bâchée, devant un feu de bois» lâche Malou. Des assiettes d’huîtres ouvertes par Danielle et du foie gras sont disposés sur les palettes qui servent de table basse. Betty fait passer les toasts, la fête est lancée, il est 21h…
Feu d’artifice
On s’autorise une petite bouteille, David s’en écarte. Soudain un feu d’artifice zèbre le ciel derrière le Campanile, c’est ce petit supplément festif qu’il manquait avec la musique sortie d’un portable et amplifiée par une mini-enceinte. «Vous avez vu ce feu d’artifice à Marmande l’autre jour ? Voilà où va notre argent» s’insurge l’une des GJ.
Joyeux Noël ! »
Minuit. On ne change pas d’année, mais on lève le verre à Noël, «Joyeux Noël !». Et pendant ce temps, de toutes les voitures ou camions qui seront passés au rond-point, rares sont ceux qui n’auront pas donné un petit coup de klaxon ou sorti le gilet en le faisant flotter comme un fanion.
On ne peut plus s’arrêter, ne serait-ce que pour ceux qui sont morts »
Comme le signe d’un destin qui doit basculer. Tous en sont intimement convaincus. On n’en est plus aux taxes d’essences et aux taxes de transition énergétique qui ont fabriqué les Gilets Jaunes, maintenant on parle de RIC. Le référendum d’initiative citoyenne, tout le monde va en faire un cheval de bataille pour les semaines à venir. «Là, ce sont les fêtes, le mouvement s’est un peu calmé. Mais il reprendra de plus belle. Il ne doit pas s’arrêter. On ne plus s’arrêter, ne serait-ce que pour ceux qui sont morts et ces 1.500 blessés»…
Entre deux danses et des fous-rires, chacun sait pourquoi il est présent sur ce rond-point du Leclerc, un 24 décembre à minuit, avec son Gilet Jaune…
Michel Pradeau








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