
Philippe B. (à droite), avec Jean-Luc Riva, coauteur de ce livre, ancien directeur du Parc de Maisons-Laffitte (Yvelines), et militaire spécialisé dans le renseignement. (©78 actu)
78 actu : Quand avez-vous quitté le GIGN ?
Philippe B. : « J’ai fait mon pot de départ le 6 décembre 2018. J’ai rendu mon appartement de fonction il y a peu de temps. Mais j’y retourne régulièrement, car j’ai tous mes camarades qui y sont encore. Dernièrement, j’y suis retourné pour le pot de retraite d’un collègue, celui qui était prévu pour être le porteur de bouclier du trinôme de tête dans le bureau du directeur de l’imprimerie de Dammartin-en-Goële, où s’étaient réfugiés les frères Kouachi.
Racontez-nous votre rencontre avec Jean-Luc Riva ?
J’étais invité pour l’inauguration d’un stand de tir à Rosières-aux-Salines, dans l’est de la France. Franck Chaix, ancien commandant de la Force Intervention du GIGN (Groupe d’intervention de la Gendarmerie nationale), a joué les intermédiaires. Jean-Luc Riva et Christian Prouteau faisaient leur séance de dédicaces de GIGN : Nous étions les premiers. On ne se connaissait pas avec Jean-Luc. Je tombe alors dans une démonstration de tirs avec des pétoires improbables et je fais des tirs a priori dignes du GIGN (Rires) et remarqués par Jean-Luc…
Vous n’acceptez pas tout de suite étrangement…
C’est vrai, je réfléchis. C’est mon parcours à moi et j’ai peur de l’interprétation qui peut en être faite. Là où Jean-Luc a réussi à me convaincre, c’est qu’il y a aujourd’hui une mauvaise connaissance de ces unités d’élite, à une époque où elles sont pourtant particulièrement mises en lumière.
Le 1er septembre 2008, un détenu de 32 ans tient en otage son psychiatre. Vous avez été amené, pour la première fois de votre vie, à abattre un homme lors d’une mission à la prison de Fleury-Mérogis. Qu’avez-vous
ressenti ?
J’ai mis plusieurs heures à me préparer à l’éventualité de tuer quelqu’un. Le forcené avait pris en otage son psychiatre. Je réalise un tir de neutralisation à la gorge, car la lame qu’il avait était presque accrochée à la carotide de l’otage. Le médecin m’avait dit quelques minutes auparavant que pour le neutraliser, le mieux était de viser la colonne vertébrale pour le rendre tétraplégique. Je me
suis senti être un bourreau. Il a fallu prendre beaucoup de recul et se dire : Ok, on va tout faire pour que les deux puissent s’en sortir. Je fais le tir le plus juste possible. Le preneur d’otage est mort quelques jours après. Même si j’assume cette mission, la mort d’un homme est toujours lourde à porter.
« C’est sûr, on va sentir les impacts ! »
Avez-vous vécu la traque des frères Kouachi comme un sommet dans votre carrière ?
Même si chaque intervention est différente, dans l’engagement, je dirai que oui, car j’étais sur la fin de ma carrière. Dans l’acceptation de la mort aussi.
J’ai dit à Christophe (la tête de colonne) et à Gégé, « Voilà les gars, on va rentrer, et on va très certainement se faire tirer dessus. C’est sûr, on va sentir les impacts ! » Dans la foulée, j’appelle ma femme pour lui dire adieu. Je lui dis que si je rentre ce soir, ce sera exceptionnel. Je regarde les gars et leur dis que c’est un honneur de tomber avec eux, et puis que si on meurt, on
se retrouve là-haut pour boire une bière, parce qu’on y aura bien le droit. Sauf que ça ne se passe pas du tout comme vous l’aviez imaginé… Les frères Kouachi sortent et prennent le feu. Je suis sur le Sherpa. Je participe avec mes camarades aux tirs. Je ne dirais pas comment ça s’est passé exactement. Il faut qu’il y ait une part qui reste à l’unité. Ils sont morts, on les a neutralisés. On aurait voulu les capturer vivants. Ça n’a pas été possible, car ils avaient des gilets par balle.
« Chaque homme a le plein pouvoir sur sa destinée. »
Un large passage est consacré à l’opération de libération des otages du voilier français Le Ponant, au large des côtes somaliennes. Nous sommes au début du mois d’avril 2008. Pouvez-vous nous raconter cette mission de sauvetage en pleine mer ?
Pour nous, le Ponant était un peu ce que la prise d’otage de Marignane avait été au contre-terrorisme aérien, en version maritime. On s’est préparé à un assaut par bateau et hélicoptère. Je faisais partie de ceux qui étaient prévus pour arriver en zodiac afin de monter à bord. L’un des chefs de groupe a été surpris à ce que je demande à intervenir avec un revolver contenant seulement six balles
dans son barillet. Chaque cartouche compte dans ces cas-là. C’était un peu un hommage à mon parrain Thierry Prungnaud qui est rentré dans l’Airbus d’Air France en 1994. On était prêt à en découdre pour préserver la vie de ces trente otages. Finalement, la négociation arrivée à son terme, une remise de rançon est organisée. Les otages sont libérés et les pirates quittent le Ponant pour regagner la berge avec la rançon. La demande du gouvernement somalien était à l’époque de les neutraliser. On prend la décision de ne pas tirer, mais plutôt de les interpeller.
Quels sont les retours que vous avez au sujet de ce livre ?
Je suis le premier opérationnel à parler à visage découvert, ce qui suscite énormément de curiosité. Ce livre, il faut le voir comme un partage d’expérience. J’ai voulu montrer aux gens que quand on a un rêve, et que l’on se donne les moyens de le réaliser, tout est possible. Je souffre de voir les gens ne pas parvenir à réaliser leurs objectifs. Chaque homme a le plein pouvoir sur sa destinée.
Vous embrassez une nouvelle carrière dans le cinéma, avec comme nom de scène d’Aton. Quels sont vos modèles ?
J’aime beaucoup De Niro, Dustin Hoffman, Nicolas Cage, Tom Hardy par exemple… Côté réalisateurs, j’adore aussi Kubrick et Tarantino.
Vos idoles lorsque vous étiez jeunes et que vous rêviez déjà d’être acteur, étaient plutôt des rois de l’action (Silvester Stallone, Jean-Claude Van Damme, Bruce Lee…). Vos références cinématographiques auraient évolué ?
L’action, je l’ai vécue en vrai, au GIGN. Maintenant j’ai envie de lui donner de la profondeur. »
GIGN : Confessions d’un OPS,
Jean-Luc Riva et Philippe B. Ed.
Nimrod. 21 €. 384 pages.