« C‘était une vie extraordinaire, pleine d‘amitié, de travail et de labeur. » C’est avec une émotion débordante que Christian Leguay parle de l’industrie de la toile de jute qu’il a connu à la fin des années 60. Il avait 17 ans quand il a rejoint l’usine Darras père et fils. « Allery comptait plus de 1 100 habitants à l‘époque (contre à peine 900 aujourd‘hui ndr) » se souvient-il.
« Mon patron m‘a appris le respect des choses bien faites etle respect des autres travailleurs. » Il n’en garde pas un souvenir amer, bien au contraire : « Jean Darras était un monsieur extraordinaire, en bleu de travail lui aussi, qui mettait la main à la pâte. »
L’âme du village
Plus qu’un métier, l’usine à l’époque était un mode de vie. Christian Leguay revient sur cette époque qui l’a marqué pour la vie : « Les ouvriers travaillaient en communauté. Tout le monde s‘entraidait. C‘était un travail prenant et difficile. Ils étaient constamment debout, mais ils ne se plaignaient jamais. »
Nous avions l’impression de vivre en autarcie. L’usine de tissage, c’était l’âme du village!
Et puis surtout, il y avait le travail et l’après-travail. « Les associations, les fanfares et les cafés : tous les commerces débordaient de vie ; nous avions l‘impression de vivre en autarcie. L‘usine de tissage, c‘était l‘âme du village ! » s’exclame M. Leguay.
Deux tiers de la population tisserands
Ils étaient en effet peu nombreux à ne pas être liés, de près ou de loin, au tissage. « La moitié de mes camarades d‘école sont partis travailler à l‘usine ensuite » raconte Christian. Une réalité sociale qui était encore plus marquée avant la Seconde guerre mondiale. « Sur les 300 habitants d‘Allery partis faire la Guerre en 14-18, les deux tiers au moins étaient tisserands » précise t-il.
« Ferlic-Ferlac »
Même si l’activité a disparu, la toile de jute est encore bien présente dans la ville. Sous différentes formes. Les usines désaffectées qui parsèment la commune. Mais surtout dans les souvenirs des habitants : « certains des gars encore en vie aujourd‘hui ont toujours le bruit du métier à tisser dans les oreilles, le fameux « ferlic-ferlac ».
André Sueur, l’ancien contremaître de l’usine de tissage Dufour, a même racheté un bout de l’usine désaffectée. Celle où travaillait Christian Leguay a été rachetéé récemment par l’un de ses amis.
Il compte donc bientôt en faire autant, pour entreposer la masse de souvenirs qu’il garde actuellement stockée dans un local trop étroit. Ainsi que les nombreux classeurs d’archives qu’il stocke chez lui. Un bout de l’usine bien à lui, c’est bien l’élément ultime qui manquait à sa collection.
Pierre Julienne