
Un joyau qui trône désormais dans la pièce principale du Musée des Beaux-Arts et de la dentelle d’Alençon (©Laurent Rebours)
Lorsque le marteau du commissaire-priseur de la prestigieuse maison de ventes Drouot à Paris tombe, ce mercredi 24 octobre 2018 vers 15h30, et adjuge un voile de mariée en dentelle au point d’Alençon au Musée des Beaux-Arts et de la dentelle d’Alençon, l’émotion est énorme chez ses représentantes.
Du jamais-vu au Musée de la dentelle

La richesse incroyable de ce voile dépasse l’entendement avec des centaines de milliers d’heures de travail et la totalité des détails du savoir-faire dentellier depuis 400 ans réunie en une seule pièce ! (©Laurent Rebours)
Marie-Noële Charuel, présidente de l’Association La Dentelle au Point d’Alençon et Johanna Mauboussin, conservateur du patrimoine viennent de décrocher, à 65000 €, une pièce tout simplement hors norme. Un voile de mariée de 7 m2, supplantant tout ce qui était exposé jusqu’alors dans le musée.
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Une émotion encore palpable ce vendredi 30 novembre 2018 lorsque ce voile a été présenté officiellement dans son nouvel écrin au coeur du musée, en présence de tous les partenaires qui ont permis que cette acquisition exceptionnelle se fasse.
Le président de la Communauté urbaine d’Alençon, Ahamada Dibo a remonté le temps, revenant en juillet dernier, pour rappeler qu’il avait été alerté de la vente de ce voile, susceptible de devenir une pièce maîtresse du musée de la Cité des Ducs. « Nous avons su jouer collectif pour réunir les fonds nécessaires à un tel achat et nous avons acté le 25 septembre. Un mois plus tard nous en étions propriétaires ».
Ce collectif, c’est l’Association La Dentelle au Point d’Alençon, le Club des Mécènes de la Fondation du Patrimoine, la CUA, le Conseil départemental, la Région par le biais du FRAM, du crowdfunding… Au total, 100000 € ont été mobilisés, 65000 € auront suffit.
Et maintenant, un travail de détective énorme !

La conservatrice du Musée de la dentelle d’Alençon, Johanna Mauboussin, va désormais débuter une « folle aventure » comme elle le dit elle-même : retrouver l’histoire de cette pièce fabuleuse (©Laurent Rebours)
Pour Johanna Mauboussin, la description de ce joyau trônant désormais dans ses lieux revêt des allures de quête du Graal.
Il ne doit pas exister dans le monde plus d’une dizaine d’exemplaires d’un tel travail au point d’Alençon et c’est tout simplement fabuleux pour le musée d’être parvenus à acquérir une si belle pièce, c’est juste merveilleux à l’échelle de ma toute petite vie ! » évoque la conservatrice, transportée par l’émotion, une émotion communicatrice.
Toutes les pistes sont explorées mais d’ores et déjà une commande d’une cour royale d’Europe ou d’une riche famille aristocrate semble écartée car aucunes armoiries n’apparaissent ce qui n’aurait pas manqué d’être le cas.
Il reste l’hypothèse d’une famille d’industriel très fortuné qui aurait pu faire l’acquisition de ce voile au XIXème siècle. « Un voile qui est tout simplement une véritable encyclopédie » ajoute Johanna Mauboussin. Ce qui l’intrigue surtout c’est que ces 7 m2 de dentelle représentent l’intégralité du savoir-faire dentellier en une seule pièce ! Autant dire que l’on pourrait se trouver devant la « vitrine », le chef d’oeuvre d’une grande maison dentellière, la Maison Lefèbure ou la Maison Huignard.
Des chiffres qui dépassent l’entendement
Notre démarche désormais va consister à un énorme travail de dépouillement des archives des fabricants car, grâce à l’experte de Drouot nous connaissons des propriétaires et nous possédons des cartons. Nous allons aussi consulter les jurys des concours car il y a de fortes chances que ce voile ait concouru ».
Ce qui fait que la conservatrice émet l’hypothèse que ce voile n’a peut-être jamais drapé une mariée. Un tel tour de force pourrait n’avoir eu comme objectif que d’être un incroyable instrument « marketing » d’une Maison. Mais rien n’empêche qu’il ait pu être acquis par la suite par quelqu’un de riche pour un mariage.
Lorsque l’on parle de tour de force il faut se pencher sur les 7 m2 concernés, soit 70000 cm2. Autant dire de 4 à 500000 heures de travail, plus de deux cents dentellières à temps plein (le temps plein de l’époque c’est-à-dire près de 70 heures hebdomadaires avec du travail ramené à domicile) durant une année !
Evidemment, à l’aune de nos critères actuels, cette réalisation est inimaginable. Ce qui en renforce le pouvoir d’attractivité au sein du musée alençonnais et apporte une pièce majeure à ce Patrimoine immatériel de l’Unesco.
Les mécènes ornais
Au-delà de l’acquisition, ce voile représente aussi une première en terme de collectif comme l’a relevé Maryvonne Ligot représentant le Club des Mécènes du Patrimoine.
Un club fondé en 2013, regroupant des entreprises directement concernées par le bâti mais aussi une quinzaine de mécènes attachés à la préservation du patrimoine de l’Orne comme une agence immobilière, un cabinet d’assurance, Enedis, le Musée Bohin ou bien le groupe Publihebdos avec ses six hebdomaires ornais.
Depuis 2013 Le Club des mécènes du patrimoine a participé à la sauvegarde d’une quarantaine de projets ornais.